Paris-Orly, 3 mars 1974, 11h39,
le DC10 du vol 981 de THY (Turkish Airlines) décolle
à destination de Londres. Moins de 5 minutes plus
tard, l'avion s'écrase dans la forêt d'Ermenonville,
tuant les 346 personnes présentes à bord. Une trouée
de 700m par 100m dans les arbres offre une vision
d'apocalypse de débris humains et de morceaux
d'avion.
C'est la plus importante catastrophe aérienne qui
ait jamais touché la France.
L'enquête va rapidement découvrir que la porte
arrière gauche de la soute s'est ouverte en vol suite
à son mauvais verrouillage (la pression de l'air sur la
surface de la porte atteignait 5t). La décompression
brutale de la soute a déformé toute la partie
arrière du plancher de la cabine et a attiré vers
l'extérieur deux rangées de sièges avec leur 6
passagers. Les commandes de vol des gouvernes et du
moteur central qui passaient dans l'épaisseur du plancher
ont été arrachées rendant l'avion impilotable et
entrainant sa chute à plus de 600 km/h.
Moins de 2 ans auparavant, le 11 juin 1972, un DC10
d'American Airlines décollant de Détroit avec 56
passagers et 11 membres d'équipage avait déjà perdu
la porte de sa soute après quelques minutes de vol
entrainant l'éjection de deux hôtesses de l'air à la
verticale de la ville de Windsor. Une déformation
importante du plancher de la cabine entraina la
rupture des commandes de vol de la dérive et du
moteur n°3. Seule la dextérité du pilote et son
entrainement spécifique sur DC 10 ont permis le
retour et un atterrissage, certes scabreux, uniquement en ajustant la
poussée sur les deux moteurs d'ailes.
Une vue d'artiste de l'avion perdant sa pressurisation et ses
passagers.
* * *
Au sol, après le crash, une vision dantesque et un travail
éprouvant pour les secouristes, les pompiers, les militaires et les bénévoles
recherchant les corps mutilés pour les identifier. Une tâche qui
marquera à vie tous les participants.
Malheureusement, dès la nouvelle du crash connue, de
nombreux curieux vont envahir le site de tous côtés.
Des amateurs de souvenirs morbides viendront se servir
parmi les débris et les restes humains malgré la
présence des forces de l'ordre.
Témoignage:
Le journaliste Guy Couturier a été l’un des premiers témoins de
ce drame.
Il
y avait un déploiement de sécurité important, mais
non organisé. Ce qui m’a permis de pouvoir me rendre
sur les lieux relativement facilement.
À mon arrivée, j’ai pu voir en premier lieu un
nombre de badauds, beaucoup de promeneurs en forêt,
qui venaient pour voir le spectacle dont beaucoup
avaient été les témoins, ne serait-ce que par le
bruit causé par l’épouvantable chute du jet de la
Turkish Airline. C’était carrément la foire, avec
des gosses sur les épaules des papas, des gens qui
sortaient partout du bois comme s’ils revenaient de
cueillir du muguet, pourchassés par les CRS qui
tenaient à les écarter le plus rapidement possible
de l’effroyable spectacle.
Une grande faux
L’horreur ! De très nombreux sauveteurs ont convergé
peu à peu dans cette clairière infernale entièrement
créée par la chute de l’avion. C’est ce qui m’a,
personnellement, le plus impressionné. C’était comme
si une immense faux avait abattu des milliers
d’arbres d’un seul coup, laissant derrière elle une
impressionnante
saignée en coupe descendante, jusqu’à ce vaste
espace entièrement dévasté où s’agglutinaient les
débris
épars de la catastrophe.
Syncopes en série
Mes souvenirs sont autant visuels qu’olfactifs.
Quelle horrible ambiance dans ce secteur où
s’affairait une
myriade de sauveteurs dans un silence… de mort et où
flottait l’odeur indéfinissable du kérosène et de la
chair
humaine : une boucherie dans une atmosphère de
garage.
En m’approchant au plus près de ceux qui
participaient à une quête mortifère, je regardais
constamment où
je posais mes pieds tant le sol était couvert de
débris rougeâtres. Précieusement, pompiers et
volontaires de la
Croix rouge, de la protection civile et autres
associations humanitaires ont ainsi nettoyé le
terrain de ce carnage, extrayant des restes de la
carcasse volatilisée des lambeaux humains qui
procuraient à la plupart d’entre eux répulsion,
malaise et parfois même des syncopes émotionnelles…
Mayday : Dangers dans le ciel - Enquête sur le DC-10 - Vol 96 AA
et Vol 981 Turkish Airlines
La porte cargo arrière
gauche du DC10 avec son hublot qui devait permettre
de vérifier le positionnement des crochets de
fermeture. Les instructions et les
consignes de sécurité sont en anglais, mais le
bagagiste, travailleur immigré algérien, ne
connaissait que l'arabe et le français. Aussi selon
le règlement, la vérification de la bonne fermeture aurait du être faite
par un technicien au sol ou par l'officier
mécanicien de l'équipage.
Tous les utilisateurs
du DC10 étaient sensibilisés par les consignes de la
FAA à la fermeture délicate de la porte cargo du
DC10 depuis l'accident de Windsor.
Un enquêteur de la FAA examine l'état de la porte cargo et du
plancher du DC10 d'American Airline de Windsor.
La FAA ouvrit alors une enquête et
apprit par Douglas qu'une centaine de
cas de mauvaises fermetures de cette
porte avait déjà été répertorié en moins
d'un an par les 32 DC10 en exploitation.
Il suffisait de forcer sur la poignée
pour que la porte se ferme mais en
tordant la barre de commande sans que
les crochets soient parfaitement
enclenchés. Le voyant dans le poste de
pilotage s'éteignait, avertissant
l'équipage d'une bonne fermeture.
Les
ingénieurs de la firme Convair qui
fabriquait les portes comme
sous-traitant exprimaient d'ailleurs
leur insatisfaction pour le système.
Un renforcement des circuits électriques
de commande fut proposé par Douglas ainsi que l'installation d'un hublot de visite et
la pose d'étiquettes (en anglais)
indiquant qu'il ne fallait pas forcer
sur la poignée de fermeture.
Ces mesures, non contraignantes et ni
officiellement annoncées par "injonction
formelle d'agir" pour éviter
toute
contre-publicité à l'avion, ne
mentionnaient même pas que la sécurité
du DC10 était en cause.
Si elle n'exigeait pas une refonte
complète du système de fermeture des
portes, la FAA évoquait un renforcement
du plancher de la cabine, un déplacement
des circuits de commande ainsi qu'une nouvelle
vérification des vérins de fermeture qui
ne positionnaient toujours pas
correctement les barres de fermeture en les bloquant à mi-course. Devant les frais
qu'entraineraient ces nouvelles
modifications effectuées alors en usine, Douglas demandait à
ce que la note soit payée par l'Etat
Fédéral.
Cette demande a eu lieu une semaine avant
le crash du DC10 de THY.
C'est American Airlines, la compagnie de lancement du DC10, qui avait demandé 5
ans auparavant à McDonnell-Douglas de
remplacer le système de verrouillage
hydraulique conçu à l'origine par un
système de fermeture électrique plus
simple à ses yeux et donc plus sûr!
Le nombre et donc le poids des
passagers (+ 7t) a fragilisé le plancher
de la zone arrière et
accentué sa flexion en aggravant les
dégâts sur la structure, les chemins de
câbles et les circuits hydrauliques.
* *
*
Le schéma
du système de fermeture.
La broche bien enclenchée doit bloquer
le retour et l'ouverture du crochet de
fermeture.
L'enquête
A la suite de cet accident, on ouvrit les dossiers et
l'étonnement fut grand d'apprendre par exemple que
McDonnell-Douglas avait forcé la main à Turkish Airlines pour
lui vendre 3 avions alors que le constructeur savait
pertinemment que le niveau de qualification et la formation des
personnels de Turkish Airlines frisait l'indigence pour un tel avion
moderne.
On apprit aussi que nombre d'alertes avaient été
lancées en interne par des cadres de Douglas ou Convair-General
Dynamics sur le
problème des portes et la résistance du plancher sans que jamais
aucune ne fut répercuté à la FAA. Quant aux compagnies aériennes
utilisatrices, elles n'avaient que très lentement commencé à
réaliser les modifications suggérées.
L'appareil accidenté, le
n° 29 de série, auraient du subir les premières modifications
(même par accord tacite !) de la porte à la suite de l'accident de Windsor: un
allongement des crochets-griffes de sécurité et la pose d'un guide pour
éviter la flexion de la barre de fermeture. Mais l'avion stocké
dans un hangar en attente de sa livraison ne fut pas opéré.
Mieux, les services de l'avionneur falsifièrent les documents
pour prouver le contraire.
Un juge américain de Californie fut saisit du dossier où se
trouvaient accusés THY, McDonnell-Douglas et Convair et du côté
des 346 victimes, 21 nationalités différentes réclamaient des
indemnités qui dépendaient de législations différentes. Un
casse-tête juridique! Enfin, particulièrement indécent,
McDonnell-Douglas chercha à échapper aux sanctions en chargeant
le bagagiste de la faute "impardonnable" de n'avoir pas su
fermer la porte de l'avion.
Les mesures techniques
Dès le 14 mars,
10 jours après le drame et avant même le dépôt du rapport final,
McDonnell-Douglas a annoncé qu'il accélérait maintenant le
programme de modification des portes avec le nouveau système de
fermeture des avions sur la chaine de fabrication. Il reste
toutefois 110 appareils utilisés par les compagnies à modifier
au fur à et mesure de leur planning de révision.
En mars 1975, un
an après l'accident, la FAA a enfin réagit en obligeant les
utilisateurs d'avions à fuselage large à 1) renforcer le
plancher de cabine et 2) installer un dispositif de ventilation
permettant d'égaliser rapidement la pression entre la cabine des
passagers et la soute. Tous les B747 , "Tristar" et A300, 543
appareils en service, même sans être en cause dans un accident,
devront subir ces modifications alors que la démonstration a été
faite que leurs portes de soute de pouvaient pas s'ouvrir en
vol. On estime à 250 000$ par avion le prix de ces
modifications.
Un
mémorial a été érigé sur le site de l'accident en
souvenir des 346 victimes d'un accident dont les
causes sont autant un échec du bureau d'étude d'un
avionneur qui n'a pas ensuite voulu tenir compte des
avertissements précurseurs. C'est aussi une
compagnie aérienne qui a caché son incompétence sous
une fierté mal placé. C'est enfin l'échec d'un
organisme officiel, la FAA dont la mission première
était pourtant d'assurer la sécurité du transport
aérien. Un des plus grands accidents aériens de
l'histoire avec ceux de la
JAL et
Tenerife.
Que le ciel nous préserve d'un autre.
Quelques sites à consulter pour
compléter votre information